Collectes de mémoires : la valorisation par le numérique |
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Par Claire Scopsi, maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Cnam de Paris (Laboratoire Dicen) |
Collectes de mémoires : la valorisation par le numérique |
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Par Claire Scopsi, maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Cnam de Paris (Laboratoire Dicen) |

Diplômée en ingénierie documentaire, Claire Scopsi a pratiqué pendant plus de 10 ans le management de projets documentaires au sein des Directions informatiques de grandes entreprises. Docteur en Sciences de l’information, elle est maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers de Paris (Cnam) et responsable d'une licence professionnelle de documentalistes audiovisuels. Ses travaux d’ethnométhodologie au sein du laboratoire Dicen (Dispositifs d’information et de communication à l’ère numérique) du Cnam portent sur les communautés de migrants connectés et sur le rôle des technologies de communication dans la construction des identités collectives.
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Dans toute la France, des centaines de projets de « collectes mémorielles » ont été lancés, souvent par des associations, afin de recueillir des témoignages auprès des habitants de divers territoires, zones rurales ou urbaines, et transmettre une identité territoriale. Ces témoignages prennent des formes diverses : documentaires, photos, films de famille, documents personnels, enregistrement d'entretiens… L'image et le son numériques offrent une occasion de donner une dimension « patrimoniale » nouvelle à ces projets. Mais cela implique d'apprendre à maîtriser l'image numérique et les outils que l’on peut trouver sur le Web, en particulier le Web 2.0 et ses plateformes collaboratives. Le numérique aide à la valorisation de ces « mémoires », mais, faute de méthodologie scientifique, ce patrimoine « territorial » reste moins visible que le patrimoine institutionnalisé.
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Collecter la mémoire des territoires et de leurs habitants est
devenue une pratique courante. En 1997, Pierre Nora soulignait que plus
de trois cents équipes étaient occupées en France à recueillir les voix
des anciens et rapprochait ce phénomène de l’accroissement des
recherches généalogiques et du succès populaire des Journées du
Patrimoine, parlant d’une « ruée vers le passé » depuis la fin des
années 1970. Toutefois, ces initiatives montrent des différences non
négligeables selon leur contexte et le statut des acteurs et initiateurs
du projet.
On peut avancer la typologie suivante.
*
Les collectes à caractère historique (histoire contemporaine ou histoire
sociale), réalisées à des fins scientifiques, visent à constituer des
corpus cohérents d’entretiens oraux documentés et archivés, exploitables
ultérieurement pour l’élaboration de l’histoire d’un lieu, d’un
événement, d’une institution, d’une communauté…
* Les collectes à
caractère folkloriste constituent des corpus à vocation
scientifiques, sous forme de témoignages oraux, d’enregistrements de
musiques ou de contes, de captations de danses ou de gestes artisanaux,
de documents divers retraçant les coutumes, habitats ou rites régionaux.
*
Les collectes à vocation socioculturelle, souvent menées par des
associations, rassemblent une population autour d’un projet mémoriel.
Ici, l’objectif de co-construction d’une identité partagée et les liens
tissés pendant le projet prennent le pas sur l’exigence scientifique et
la réusabilité des traces collectées.
* Les collectes d’amateurs ou
de collectionneurs résultent de la passion d’historiens ou généalogistes
amateurs, amoureux de « vieilles pierres », collectionneurs de cartes
postales anciennes, organisés individuellement ou en associations.
Ces
collectes présentent aussi des similitudes : elles visent, d’une part, à
constituer et traiter des collections de documents publics et privés de
nature hétérogène (écrits, iconographie, photographies, enregistrements
musicaux, images animées... ) et, d’autre part, à susciter des
témoignages sous la forme de documents écrits, sonores ou filmés, en
s’adressant à des personnes ressources (que nous appellerons ici les «
témoins »). Pour ce faire, les initiateurs des projets, quels qu’ils
soient, ont toujours fait appel aux technologies et aux médias en
vigueur pour capter, traiter, conserver et valoriser les témoignages.
Leur différence réside surtout dans leur vocation scientifique ou
culturelle, et dans leur intention historique (faire mémoire) ou
communicationnelle (donner à voir).
Les archives orales influencent tous les types de collectes parce que
leur vocation scientifique, et la méfiance qu’ont suscitée à leurs
débuts ces captations volontaires, les ont conduites à développer et
promouvoir une méthode irréprochable tant pour le choix des témoins, la
préparation des entretiens, leur enregistrement au magnétophone,
l’identification, la transcription, le traitement documentaire des
bandes et des dossiers de contextualisation et, enfin, les conditions
juridiques de leur exploitation par les historiens. Cette influence
transparaît dans le vocabulaire et les recommandations des guides
méthodologiques, comme celui rédigé par le Musée Gadagne de Lyon à
l’intention des « associations, groupes informels, acteurs sociaux… qui
veulent travailler sur la mémoire d’un territoire, d’un équipement, d’un
métier, sur une période et/ou des événements marquants ; sur un
personnage clé, sur un groupe social… »1.
S’ils
détaillent les opérations de préparation des entretiens, de traitement
documentaire des enregistrements et de conservation de supports, ces
guides ne s’aventurent guère encore sur le chemin des recommandations
techniques. Les outils de la valorisation ne sont guère abordés et
laissés à la discrétion des initiateurs des projets. Les guides sont
plutôt orientés vers un objectif de « capitalisation des données par les
institutions patrimoniales » pour constituer un fonds « dormant » dont
l’exploitation n’interviendra qu’après le temps nécessaire au recul
historique.
Le numérique n’est pas, loin de là, absent du guide Gadagne, où il
est notamment recommandé « de transférer au plus vite les bandes
magnétiques sur support numérique », et de réaliser deux cédéroms : l’un
pour la lecture, l’autre pour la conservation. Il est conseillé
également de numériser les objets plutôt que de les collecter et, bien
sûr, de scanner les documents papier et les photos.
Le pas entre
l’archivage numérique et l’enregistrement directement effectué en
numérique est rapidement franchi en Amérique du Nord : le site de l’Oral
History Association (OHA)2
consacre une rubrique abondante aux caractéristiques techniques des
enregistreurs numériques et recommande d’utiliser les meilleurs
équipements numériques pour reproduire précisément les inflexions de
voix des narrateurs ; tous les efforts doivent être faits pour conserver
les fichiers électroniques dans des formats indépendants, et des
plateformes non propriétaires et l’obsolescence de tous les médias doit
être planifiée.
En 2007, le guide de Gadagne ne fait qu’une allusion rapide à la
possibilité d’une archive orale filmée numérique, et sur le site de
l’OHA, la rubrique prévue pour traiter de la vidéo numérique n’est pas
encore alimentée. Cela reflète les difficultés que pose ce média
naissant aux praticiens des archives orales : le choix du matériel de
prise de vue, des formats vidéo, des volumes et formats de stockage,
avec leur risque d’obsolescence ou de perte de qualité, demande des
connaissances précises.
Au Québec, le projet « Histoires de vie
Montréal », lancé en 2005 par l’Alliance de Recherche
Universités-Communautés et l’Université Concordia, utilise la méthode de
l’histoire orale pour « explorer les expériences et les mémoires
sociales des résidents montréalais déplacés par la violence de masse
survenue lors d’événements allant de l'Holocauste à la guerre et aux
crimes atroces au Rwanda, au Cambodge, en Amérique latine, en Haïti et
en Asie du Sud »3.
Les chercheurs et partenaires communautaires associés dans ce projet
ont produit en 2008 un « guide de vidéographie » d’une grande précision
destiné aux intervieweurs : l’interviewé peut choisir entre un
enregistrement audio ou vidéo. L’entretien est alors mené par deux
intervieweurs — l’un menant l’entretien, l’autre assurant la prise de
vue — dont les rôles sont interchangeables. La prise de vue s’effectue
de préférence au domicile du témoin. Des recommandations sont données
pour le choix du «décor de fond », son éclairage, les rapports de plans à
utiliser, etc., mais aussi sur la façon de préparer le témoin, de le
rassurer s’il n’est pas habitué à être filmé, de le prévenir des
changements de cassette. Les entretiens sont intégralement transcrits
sur un mode « verbatim » et, s’il le faut, traduits. Le dispositif
d’accompagnement, considérable, comprend des sessions de formation, le
prêt de matériel d’enregistrement et d’écoute et un coordinateur de la
postproduction qui assure ou assiste les interviewers pour le montage,
l’identification des enregistrements et la gravure des DVD. L’archivage
des DVD est assuré par l’Université Concordia.
Dans le champ des
archives orales à vocation historique françaises, règne encore une
certaine réserve. Si certains organismes ont déjà entrepris la
constitution de corpus audiovisuels, contribuant à l’élaboration des
futures bonnes pratiques4,
Florence Descamps note début 2011 que « la mise en ligne d’entretiens
filmés à caractère patrimonial ou historique demeure aujourd’hui encore
très rare, réservée soit à des institutions dotées de moyens financiers
et audiovisuels conséquents soit à des chercheurs ou à des
collectionneurs militants »5.
Elle souligne également que l’image, parce qu’elle comporte un
caractère esthétique hérité du cinéma ou de la télévision, introduit de
nouveaux paradigmes d’analyse qu’il ne faut pas sous-estimer : « Comment
analyser et interpréter les images d’un entretien filmé, de quels
instruments théoriques et pratiques dispose-t-on pour l’analyse des
images, des attitudes, des visages, de la communication non-verbale et
du langage du corps », et surtout : « Quels sont les apports de l’image
animée dans la connaissance du sujet concerné ». Ces questions, qui
s’ajoutent aux incertitudes techniques, sont difficiles à surmonter
alors même que l’image numérique n’apporte apparemment pas
d’amélioration notable pour l’accès à la connaissance.
Mais
la pression sociale risque de bousculer les acteurs des archives
orales. La vidéo numérique, en envahissant le Web, a acquis une image de
facilité et de rapidité : on met en ligne ses vidéos « d’un simple clic
» sur YouTube et Dailymotion. Pour les commanditaires de campagnes
d’archives orales, c’est l’occasion de valoriser rapidement les
collectes. Or, c’est ce temps raccourci de la valorisation qui pose
question : l’histoire ne fait pas bon ménage avec l’immédiateté et l’on
ne capte décidément pas les mêmes images selon qu’on les voue au labeur
patient de l’historien ou à la diffusion rapide sur le World Wide Web.
Mais toutes les initiatives n’ont pas les mêmes contraintes et, pour
certains projets de collecte, la communication large et rapide des
résultats constitue un objectif en soi. Dans certains quartiers, dans
certaines zones rurales, les travaux de mémoire sont le support d’un
travail commun de reconstruction identitaire après une expérience de
rupture : désindustrialisation ou rénovation urbaine. Dans ces projets,
la valorisation de la mémoire est un but en soi et structure la collecte
qui, selon l’objet final envisagé (documentaire, livre, pièce de
théâtre, installation, parfois DVD…), fait appel à la médiation
d’animateurs culturels, de plasticiens, de vidéastes, de metteurs en
scène ou d’écrivains publics.
La production d’un site web ou d’un
blog est parfois annoncée dans les intentions du projet. Toutefois,
avant 2011, très peu de sites de ce type voient le jour en France car,
si le Web et les formats numériques offrent des opportunités réelles,
notamment pour les projets à petit budget, la réalisation s’avère
complexe. En effet, ces projets produisent des documents de formats très
divers : récits écrits, parfois élaborés collectivement dans des
ateliers d’écriture, films montés, captations de spectacles, entretiens
audio ou filmés, photos et documents personnels numérisés, ils
nécessitent donc des plateformes polyvalentes et la maîtrise des formats
de fichiers et de plusieurs logiciels. Des projets résultant de
partenariats entre diverses associations et faisant appels aux
savoir-faire de professionnels sont en cours de conception. Le
site « Mémoires urbaines »6 de Rouen, ouvert en avril 2011, préfigure ce nouveau type de média.
Financé
par le Grand Projet de Ville de Rouen, l’Agence nationale pour la
rénovation urbaine et la ville de Rouen, « Mémoires Urbaines » présente
des vidéos de modalités diverses : des reportages sur les monuments ou
sur l’évolution d’un bureau de poste, l’histoire d’un abattoir, un rap
sur le mariage forcé, des documents d’archives, l’histoire d’une
famille. La juxtaposition de ces récits retrace l’histoire et le présent
de cinq quartiers à travers treize thématiques (commerce, école,
famille, logement, nature, travail, urbanisme, vie associative etc.). Le
site résulte du travail commun de plusieurs associations locales, d’un
écrivain, d’un collectif de photographes et d’une consultante en
documentation.
Entre 2006 (environ) et 2011, des expériences françaises de Web 2.0
assez abouties ont été menées de façon assez peu structurée grâce aux
plateformes collaboratives et en s’appuyant sur les initiatives des
internautes.
Animée par des bénévoles de l’association « Archipel du
libre » depuis 2006, et manifestement en sommeil depuis 2010, la
Photothèque collaborative du Pays de Brest7 est
une plateforme (modérée) de partage de photographies consacrées à la
région brestoise, proposées sous licence Créative Commons. Le site, qui
comporte plus de 700 contributions, se donne pour mission de « permettre
l’expression et le partage citoyen au-delà d’intérêts purement
personnels ». Derrière le mouvement libre militant, l’initiative dessine
un portrait collectif de la région.
Le blog « Mémoire de Langeac »8 est
créé en 2008 par un amateur de cartes postales anciennes. Malgré la
modicité des moyens mis en œuvre, il compte en 2011 plus de 490
contributions (photographies anciennes, cartes postales, documents
scannés, vidéos) et 30 433 visiteurs. Les internautes utilisent la
fonction « commentaires » pour corriger des erreurs de légendage,
préciser l’identité des lieux et des personnes photographiées, évoquer
des souvenirs. Ce procédé spontané rappelle l’expérience de
redocumentarisation menée par le projet PhotosNormandie. Des fonds
photographiques historiques américains et canadiens consacrés à la
seconde guerre mondiale en Normandie et comportant parfois des légendes
incomplètes ou erronées sont diffusées sur le site de partage et de
gestion de photos Flickr. Un groupe d’internautes passionnés par
l’histoire de la seconde guerre mondiale, se piquent au jeu du «
crowdsourcing »9 et
identifient les sujets, datent les clichés, signalent des photos
similaires ou complémentaires. Les fonctions de commentaires de Flickr
permettent de suivre leurs échanges, l’évolution de leurs enquêtes et
les étapes de leurs déductions, qui deviennent indissociables du
document. De 2007 à 2011 des milliers de photographies ont été ainsi
documentées10.
L’association des plateformes Web 2.0, de la vidéo en ligne et des
récits de vie produit en Amérique du Nord une nouvelle forme de
narration : les « digital storytelling ». Il s’agit de films numériques
mêlant du son, des images fixes ou animées et des commentaires souvent
exprimés à la première personne. Ces films sont ensuite diffusés sur les
sites YouTube ou Dailymotion, ou sur des plateformes dédiées. La
subjectivation et l’émotion sont au cœur de cette narration et en font
un outil privilégié pour les ateliers d’animation auprès de populations
en situation de rupture, auxquelles elles offrent l’opportunité de
publier rapidement leur témoignage. À Berkeley, le Center for Digital
Story Telling11,
une organisation à but non lucratif, propose une plateforme de VOD
(vidéo à la demande) et un éventail de services destinés à aider les
individus, les associations et les institutions à délivrer des récits
numériques de toutes natures.
Le procédé intéresse aussi les
historiens. L’université Concordia de Montréal s’est dotée en 2010 d’un
double laboratoire de recherche, le Centre d’histoire orale et de récits
numérisés / Centre for Oral History and Digital Storytelling
(CHORN/COHDS), consacré aux archives orales et aux récits numérisés afin
de favoriser les synergies entre ces deux pratiques.
La valorisation des récits de vie numériques en France et le
développement de bonnes pratiques ne peuvent qu’être favorisés par une
recherche spécifique sur les plateformes et outils permettant d’en
faciliter la production, la valorisation et l’archivage. Dans le domaine
des sciences humaines et sociales (SHS), un important travail de
capitalisation des archives est mené par la Fédération des associations
de musiques et danses traditionnelles (Famdt), pôle associé de la BnF
sur les archives orales inédites. Il aboutit début 2011 à l’ouverture
d’un catalogue collectif, le « Portail du patrimoine oral »12,
qui rassemble les notices de plus de 80 000 documents, dont quelques
800 vidéos, issus de cinq structures de collecte de culture populaire.
Les notices sont « moissonnées » au format Dublin Core selon le
protocole OAI-PMH (Open Archives Initiative's Protocol for Metadata
Harvesting), et accessibles par une recherche commune – la consultation
de la notice détaillée et des enregistrements sonores ou vidéo
s’effectuant ensuite directement sur le serveur de la structure de
collecte d’origine. Cette solution offre de nouvelles perspectives de
recherche comparée en facilitant l’accès à des fonds divers, tout en
ménageant l’identité et la spécificité de chaque fonds.
Au
Canada, le CHORN/COHDS a contribué au développement d’une application
destinée à faciliter le traitement des vidéos issues des entretiens
d’histoire orale. Le logiciel « open source » (code source libre)
Stories Matter, dont la première version date de 2009, permet de monter,
convertir et indexer des entretiens filmés. Depuis 2010, il offre la
possibilité de charger les entretiens sur une base de données commune
pour partager les projets. Initialement utilisée par le projet «
Histoires de vie Montréal », la plateforme a été rejointe par
l’association belge Bruxelles nous appartient-/ Brussel behoort
toe (BNA-BBOT)13,
dédiée à la mémoire sonore de Bruxelles, qui collecte depuis 1999 des
entretiens, mais aussi des ambiances sonores témoins d’urbanité.
En
France, les collectes menées sur les territoires par les acteurs de
l’animation socioculturelle ou par les habitants eux-mêmes souffrent
d’un manque de cohésion et d’un certain amateurisme. La mise en
ligne des documents est souvent assurée par une municipalité parfois
associée à un organisme d’intérêt public ou de plusieurs institutions et
associations d’un quartier. Elle résulte parfois d’initiatives
individuelles sans préoccupation de capitalisation ou de visibilité à
long terme. Les choix techniques reflètent un certain tâtonnement : «
Mémoires de Langeac » est hébergé sur la plateforme de blogs Centerblog,
projet plus ambitieux, « Mémoires Urbaines » s’appuie sur le logiciel
Drupal mais ses vidéos sont hébergées sur YouTube, PhotosNormandie a vu
le jour grâce à Flickr. Les outils gratuits du Web 2.0 ont donc été
déterminants dans la réalisation de ces projets. Pratiques, peu coûteux
et immédiatement disponibles, ils sont une réponse commode au besoin de
valorisation immédiate ; ils présentent cependant sur le long terme
quelques inconvénients : relativement peu personnalisables, ils
n’incitent pas à inscrire les métadonnées indispensables à
l’identification des sujets et à la gestion des droits de publication.
Enfin, la lecture des « Conditions générales d’utilisation » de ces
outils nous apprend que le contrat implicitement signé par tout
utilisateur avec la société privée détentrice de la plateforme n’offre
guère de garantie quant à la pérennité des données : qu’adviendrait-il
des documents et des commentaires associés en cas de disparition, de
rachat ou de changement d’orientation de ces sociétés ?
N’ayant
pas de vocation scientifique, ces projets sont souvent menés peu
méthodiquement et sans l’appui d’un laboratoire de sciences humaines, et
ils n’ont sans doute pas leur place sur les plateformes d’archivage
destinées à la recherche historique future. Parfois accusés de refléter
l’angoisse sociétale de « faire mémoire à tout prix » ou d’encourager le
narcissisme ordinaire, ils ne sont pas la priorité des archivistes. Se
désintéresser de leur conservation serait cependant nier que l’histoire,
et notamment l’histoire populaire, ne s’écrit pas seulement à partir
des archives collectées et organisées à cette intention, mais aussi à
partir des archives privées, des traces et écrits spontanés produits à
d’autres fins. Or ce patrimoine populaire, fait de lettres, clichés,
journaux intimes, films de familles cède la place aux mails, blogs,
vidéos numériques, téléphonie mobile plus malaisés à préserver et risque
de disparaître.
Apporter une aide méthodologique aux animateurs
des projets de collecte des documents multimédias et des récits de vie
enregistrés ou filmés et concevoir des plateformes d’hébergement et de
publication ouvertes et indépendantes des sociétés privées pour les
soulager des responsabilités techniques pourrait relever d’un service
public dans les territoires. Le partage de telles plateformes
permettrait de capitaliser les coûts de développement et d’exploitation,
de confronter les pratiques de traitement documentaire et de faciliter
l’archivage. Enfin, la juxtaposition des documents collectés par divers
projets dans un même quartier ou une même région offrirait un ensemble
de données à la fois transversales et qualitatives pour une approche
nouvelle de la connaissance des territoires.
Claire Scopsi, maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Cnam de Paris (Laboratoire Dicen)
Mise en ligne : juin 2012
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1. Aide Mémoire(s) : Petit guide de collecte de
témoignages à l’usage des associations / Musée Gadagne (Lyon), Archives
municipales de Lyon, 2007.
2. Voir le site de l’Oral History Association.
3. Voir le site Histoires de vie Montréal.
4.
La BDIC (Bibliothèque de documentation internationale contemporaine)
assure depuis 2010 un séminaire sur la fabrication d’archives
audiovisuelles (« images d’archives et témoignages »), en collaboration
avec L’Ecpad (Établissement de communication et de production
audiovisuelle de la Défense), le Forum des images, et le département de
cinéma de l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense.
5.
Florence Descamps, « Histoire orale et archives orales : et si l’image
venait s’ajouter au son ? », in Documentaliste - Sciences de
l’Information, Volume 47, N° 4, paru le 20 janvier 2011, page(s) 54-57.
6. Voir le site de Mémoires urbaines.
7. Voir le site de la Photothèque collaborative du Pays de Brest.
8. Langeac est une bourgade de Haute-Loire en Auvergne. Voir le blog Mémoire de Langeac.
9.
Le « crowdsourcing », ou « approvisionnement par la foule », est une
externalisation de certaines tâches d’enrichissement des contenus en
utilisant le savoir-faire des internautes.
10. Voir Flickr : Galerie de Photos Normandie.
11. Voir site et plateforme VOD du Center for Digital Story Telling
12. Voir le site du Portail du patrimoine oral
13. Voir le site de l’association Bruxelles nous appartient/ Brussel behoort toe.