Avec le développement des télécommunications, l’espace spatio-temporel s’est réduit pour entrer dans l’ère de l’instantanéité. Les impacts et les enjeux réels de ces phénomènes ne sont pas encore totalement mesurés, néanmoins le rapport entre l’homme, le temps et l’espace est déjà modifié, sans doute de façon irréversible. Les conséquences de cette instantanéité de l’accès et de l’échange restent encore à maîtriser, même si cette immédiateté fait déjà partie de l’univers des jeunes générations.
La compression de l’espace et du temps provoquée par les technologies de l’information, le caractère mondial du réseau font de celui-ci un lieu de rencontres, parfois conflictuelles, d’une multitude de cultures locales, auxquelles sont associées autant d’éthiques particulières. Pourtant, dans le domaine culturel, Internet peut contribuer à la défense et la valorisation du patrimoine culturel et artistique des peuples ainsi qu’à de nouvelles formes d’expression. De nombreuses initiatives existent pour renforcer et soutenir la diversité culturelle et linguistique des pays. Par exemple, des sites de musées virtuels concourent à faciliter l’accès du plus grand nombre à diverses richesses culturelles nationales et internationales.
L’éthique est la science de la morale, elle-même science du bien et du mal, dont les définitions dépendent de la culture et de l’époque. Pour ne citer qu’un exemple, le commerce d’esclaves nous paraît aujourd’hui très immoral, alors qu’il se pratiquait avec bonne conscience jusque dans la première moitié du xixe siècle. Le caractère temporel de l’éthique est à la base de la question de l’existence d’une éthique permanente. La dimension locale de l’éthique pose la question de l’existence d’une éthique globale. Ces deux questions se rejoignent dans la définition d’une éthique universelle, invariable dans le temps comme dans l’espace.
La question de l’existence d’une éthique universelle est essentielle à la compréhension des rapports entre l’éthique et le sociosystème planétaire supporté par Internet. Les conflits d’éthiques locales sont souvent exacerbés par la globalité du réseau. Au-delà d’Internet, les questions éthiques sont intimement liées à de nombreux autres aspects de la société (politique, économique, écologique, internationalisation, progrès scientifique et avancées technologiques, nouveaux risques, etc.). Ces différents corollaires de l’évolution des sociétés humaines modifient les fondements de nos morales locales confrontées désormais à l’abolition des barrières géographiques que propose le cyberespace. Ainsi, l’usage d’Internet soulève de nombreuses et nouvelles questions non seulement d’ordre éthique, mais aussi juridique. Ses caractéristiques rendent la définition d’un cyberdroit à vocation universelle très difficile au regard de la diversité des cultures, des lois nationales et de la souveraineté des États. Seule une collaboration internationale de tous les acteurs contribuera à apporter des éléments de réponse aux besoins de définition d’un cadre juridique acceptable.
Les sociétés humaines ont construit au cours des âges les règles qui assurent tant bien que mal leur pérennité. Ces lois jouent un rôle essentiel dans la protection de la société ou de ses membres. La plupart d’entre elles sont liées à des questions éthiques.
Les libertés de pensée et d’expression sont en principe garanties dans la constitution de la plupart des États démocratiques de la planète. La censure est un exemple de thème qui pose des questions éthiques et juridiques sur lesquelles les différents États ont du mal à s’accorder.
Les partisans du libéralisme absolu semblent vouloir placer le cyberespace en dehors du monde géopolitique, comme espace aterritorial, alors que d’autres insistent sur son aspect pluriterritorial. Les premiers font fi de l’histoire de la liberté d’expression qui, bien que garantie, est associée à un certain nombre de limites et dérives dans nos sociétés « réelles ». Dans de nombreux pays, des lois interdisent l’expression de propos incitant à la haine raciale, la diffamation ou la diffusion d’informations susceptibles de heurter des sensibilités (sexe, violence, etc.). D’autres lois concernent les œuvres soumises au droit d’auteur et à la propriété intellectuelle. Les partisans de la liberté totale se fondent sur les cultures ou les environnements juridiques les plus libéraux. Les seconds prônent au contraire un contrôle sévère reposant sur le plus petit dénominateur commun entre les différentes lois nationales en présence, limitant ainsi très fortement les possibilités d’expression sur le réseau.
Dans les deux cas, ces questions ne sont pas limitées à l’Internet, mais touchent nos sociétés dans l’économie mondialisée. Les divergences restent nombreuses entre les promoteurs et les détracteurs de la liberté d’expression. Toutefois, beaucoup s’accordent sur la nécessité de protéger non seulement les données personnelles, l’intimité numérique, la liberté d’expression sur Internet, mais aussi ceux considérés comme des cyberdissidents, qui dans certains contextes risquent l’emprisonnement, voire la peine capitale. Divers mécanismes de surveillance et de filtrage, comme de nouvelles formes de censure par exemple, existent sur Internet pour limiter la liberté d’expression et de navigation sur le Web.
Par ailleurs, derrière la question du contrôle de l’information publiée sur Internet se profile la question du contrôle de la qualité de l’information. Le travail de vérification et de recoupement normalement effectué par les journalistes dans les médias « classiques » n’a pas toujours son pendant sur le réseau des réseaux. L’internaute témoin n’est pas journaliste. La capacité de chacun à publier une information incomplète, périmée ou fausse, que ce soit sciemment ou non, avec une intention malveillante ou non, mais le plus souvent en toute légalité, pose une grave question d’éthique quant à la qualité et la véracité de l’information publiée sur Internet. L’internaute devrait apprendre à renforcer son esprit critique en vérifiant, autant que faire se peut, l’information et sa source.
S’il ne fait pas toujours l’unanimité, Internet est un phénomène majeur en ce début de xxie siècle. Porteur d’espoir en matière de partage de l’information et de la connaissance, capable de devenir une véritable force motrice de l’économie et de l’innovation, il véhicule aussi les aspects les moins positifs de la société.
L’informatisation de notre société est une réalité sans retour en arrière possible. Le réseau n’a toujours pas fini de maîtriser sa croissance. En chantier permanent, de nombreux éléments restent à être améliorés ou développés, soulevant de nombreux défis d’ordre social, culturel, économique, politique, légal, technique et philosophique. Leurs réponses devraient être trouvées au niveau national et international avec la collaboration des acteurs privés, publics et la société civile.
Parmi ces nombreux défis, notons celui qui consiste à proposer une vision de l’informatique qui dépasse le réductionnisme économique et positiviste dans lequel l’informatisation de la société s’est développée depuis son origine. Cette considération invite à ne pas voir uniquement le côté instrumental des technologies du numérique, notamment de l’Internet, trop souvent associé à la rentabilité, à l’efficacité et à la performance économique et technique. Il devient urgent de se pencher sur les nouvelles valeurs de société engendrées par les technologies de l’information, de s’interroger sur la manière dont la technologie pourrait apporter plus d’humanité au travers de réponses convaincantes aux interrogations suivantes :
Comment devenir des partenaires et des acteurs à part entière des formidables mutations et transformations de la société, induites par l’usage extensif des technologies de l’information et des communications ?
Comment ne pas être de simples sujets, agents passifs qui subissent les changements technologiques ?
De quelles manières la technologie peut-elle aller à la rencontre de nos besoins métaphysiques ?
Serons-nous capables de créer une nouvelle humanité qui tient compte du monde virtuel, d’une informatique omniprésente et invisible, de la convergence entre le monde biologique et technologique, c’est-à-dire de la symbiose entre l’humain et la machine ?
Le véritable enjeu ne serait-il pas d’être capable de donner du sens à travers le prisme technologique Internet, pour tenter de trouver « l’universel » et de prendre conscience des transformations qu’il opère sur le corps et l’esprit ?